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Le Mondial de ping-pong débute le 13 mai à Paris-Bercy. Notre reporter s’y est préparé en défiant Jean-Philippe Gatien, champion du monde en 1993. En trois sets perdants.

Une pièce grisâtre éclairée par un néon glauque, quelques fauteuils déglingués, un son électro de qualité supérieure, des films pornographiques des années 1970 projetés au mur, une table de ping-pong au milieu de la salle et quarante personnes qui tournent autour avec une raquette dans la main droite et une Beck’s dans la main gauche. Bienvenue au Dr. Pong, le bar le plus génial de Berlin, et donc de la Terre. Lors de mon année Erasmus là-bas, j’ai passé plus de temps à la table du Dr. Pong que sur les bancs de la Humboldt Universität, ce qui explique peut-être que je n’aie jamais obtenu ma maîtrise d’histoire, mais que j’aie progressé dans celle de la petite balle blanche.

Victime d’une intense berlinostalgie à mon retour à Paris, j’ai longtemps songé à youvrir un Dr. Pong, mais cette ambition s’est fracassée sur un contrat au service des sports du Monde. D’autres passionnés se sont heureusement montrés plus persévérants que moi : ainsi le Gossima s’apprête-t-il, dans les jours qui viennent, à ouvrir ses portes au pied de Ménilmontant, dans le 11e arrondissement de Paris. Fin avril, plusieurs journalistes sont invités à venir y taper quelques balles en avant-première. Je me dois d’aller découvrir à quoi ressemble mon rêve réalisé par d’autres, et vérifier que mon coup de raquette tient toujours la route.

A l’entrée de l’ancien garage reconverti en paradis des pongistes m’attend Jean-Philippe Gatien, associé à ce projet de bar à ping-pong, que je me suis permis de défier dans un match en trois sets gagnants. Dans la mesure où cet ancien pro, âgé de 44 ans, n’a qu’une seule couronne de champion du monde (1993), une médaille olympique même pas en or (1992) et treize misérables titres de champion de France à faire valoir, je pense que tous les espoirs sont permis.

MON OPTIMISME BAISSE D’UN CRAN

Avant notre rencontre au sommet, « Philou » se livre, avec Quentin Robinot, champion d’Europe juniors 2009, à une démonstration qui illustre à merveille les propos de Dick Miles, l’un des plus grands joueurs américains de l’histoire : Â«Â Aux yeux de qui n’est pas habitué, un match moderne de tennis de table au plus haut niveau pourrait très bien passer pour un jeu auquel, dans la salle de récréation d’un asile, se livrent deux pensionnaires fous. » On a effectivement l’impression devoir s’affronter deux exemplaires de Tom Hanks dans Forrest Gump. Mon regard peine à suivre l’échange. Je ne peux pas nier que mon optimisme baisse d’un cran.

C’est à moi. Bien. Je m’avance vers la table, saisis une raquette et songe à ces mots lus dans Ping-pong, le livre de Jerome Charyn : Â«Â Ne baisse jamais les yeux quand tu te trouves devant la table. Fixe le regard de ton adversaire. Une partie, c’est gagné ou perdu avant que le premier point n’ait été marqué. » Je jette un sombre coup d’oeil à mon challenger, avant que ne débute enfin le match dont, par respect pour Jean-Philippe Gatien, nous tairons le résultat. Bon, d’accord, j’ai perdu 11-0, 11-1, 11-0.

D’aucuns parleront de raclée. J’aurais plutôt tendance à souligner ce point pris au meilleur pongiste de l’histoire de France, grâce à un service dévastateur que Gatien n’a pu que renvoyer dans le filet, d’un revers assez sale d’un point de vue technique, si je peux me permettre. Â«Â Je regardais le barman en train de préparer un cocktail, j’ai eu un moment d’inattention », tentera-t-il vaguement de se défendre, marqué par sa déconvenue.

Allez, trêve de galéjades. Si le sport que pratique Jean-Philippe Gatien est du ping-pong, alors ce n’est pas comme ça que s’appelle celui que je fais, moi. C’est bien simple, à chaque fois qu’il a engagé l’échange, j’ai été incapable de remettre la balle sur la bonne moitié de la table, tant l’effet qu’il lui imprime lors du service est violent. La rencontre a duré moins de temps qu’il ne vous en a fallu pour lirejusqu’ici le texte de cet article, et les spectateurs, s’il y en avait eu, se seraient sûrement moins ennuyés en nous regardant jouer Ã  Pong, le premier jeu vidéo de l’histoire, le plus soporifique aussi – vous savez, les deux bâtons qui se renvoient un pixel blanc de droite à gauche et de gauche à droite.

LES LEÇONS DE LA DÉFAITE

Ma déroute appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, j’aurais été plus à mon aise il y a soixante-quinze ans, à l’époque où le concept d’effet n’existait pas et où le tennis de table était un sport d’usure – la légende parle d’un échange, en 1936, qui dura deux heures et douze minutes et poussa la Fédération internationale àprendre des mesures afin d’accélérer le jeu.

Ensuite, j’aurais mieux fait d’éviter le tennis, dont la pratique a déréglé mon geste de pongiste, devenu trop ample. Coluche n’avait pas tout à fait raison quand il affirmait que Â«Â le ping-pong et le tennis, c’est pareil, sauf qu’au tennis les joueurs sont debout sur la table ».

Enfin, j’aurais dû passer plus de temps au Dr. Pong, puisque Jean-Philippe Gatien, avec qui l’échange s’avère bien plus agréable dès lors qu’il n’implique pas l’usage d’une raquette, me dit que l’on estime à Â«Â dix ans et dix mille heures » la durée de pratique nécessaire pour atteindre le haut niveau, et plus encore si l’on vise l’excellence.

Dix mille heures… Le plus simple aurait peut-être été de naître en Chine, le pays qui a raflé 24 des 28 médailles d’or distribuées aux JO depuis que le ping-pong est devenu discipline olympique en 1988. Â«Â Considérez la balle comme la tête de votre ennemi capitaliste. Frappez-la avec votre raquette socialiste, et vous aurez gagné un point pour la mère patrie », disait Mao, qui savait trouver les mots pour motiverson peuple. Il y a aujourd’hui plus de joueurs de ping-pong en Chine que d’habitants en France, où l’on recense 192 000 licenciés, et de 4 à 5 millions de pratiquants.

SANTÉ ET DIPLOMATIE, LES BIENFAITS DU PING-PONG

Ce ne serait pas idiot que tout le monde s’y mette, suggère Jean-Philippe Gatien, car le ping-pong Â«Â fait travailler la coordination, les réflexes, l’habileté, la vision, l’anticipation et développe un côté malin chez l’enfant, puisqu’il faut piéger le mec en face sur le placement, la tactique et les effets ». Au Japon et en Chine, de nombreuses personnes âgées s’entretiennent physiquement et mettent à profit l’effort d’analyse et de compréhension des trajectoires qu’implique ce sport pourlutter contre la maladie d’Alzheimer.

Au chapitre des atouts du ping-pong, ajoutons qu’il s’agit du sport convivial et rassembleur par excellence, qui peut même, à l’occasion, réduire les risques de guerre thermonucléaire, comme dans les années 1970, lorsque la « diplomatie du ping-pong » réchauffa les relations entre la Chine et les Etats-Unis, alors en (guerre) froid(e).

Il existe toutefois un revers de la raquette. Autant le pongiste du dimanche ne risque rien de plus grave que la fameuse pulvérisation de la cuisse contre le coin de la table, autant l’exigence du haut niveau peut occasionner de sérieux dégâts au niveau des genoux, des chevilles, de la région lombaire et de l’axe épaule – avant-bras – poignet. Bonjour les tendinites, les entorses et le mal de dos. Bonjour la mort, même, parfois, puisque Jean-Philippe Gatien m’apprend que l’on compte« une dizaine de décès par an » autour d’une table – essentiellement chez des seniors ayant des antécédents cardiaques.

Je sens bien que, par ces propos, Gatien tente de m’effrayer, car il n’est lui-même pas serein à l’idée que je lui réclame une revanche à l’avenir. Mais il en faudra plus pour m’éloigner du ping-pong et du Gossima, où je décide d’entamer la reconquête en jouant face à des confrères pendant encore une heure. Plus que neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf. Rendez-vous en 2023, Jean-Philippe.

Henri Seckel – Le Monde

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